Commentaires

"Au début était le trait, 

La ligne. Frontière à peine tangible qui pour l’artiste prend sens et projette les jalons de ce que sera le dessin. De là, par glissement poétique, par association formelle, se développent et prolifèrent les signes du dessin.
L’artiste aime mêler à ses dessins à la plume ou au crayon des matériaux aussi hétéroclites que des inclusions de photographie prises par l’artiste et découpées, des paillettes ou de la passementerie, des épingles ou des hameçons, des collages divers.
Dans les dessins de Pierre Desfons, la volupté n’est jamais loin de la cruauté, l’envolée jamais loin de la chute, le sommeil jamais loin de la disparition, l’onirisme jamais loin d’une sorte d’hyperréalisme inquiétant, l’ivresse des sommets proche, tout proche du vertige du précipice. Les tensions, la dimension dramatique, voire dramaturgique de la scène sont palpables. Ici, la poésie ne fait pas l’économie de la violence. La lutte, le conflit, comme processus de fonctionnement universel, est au cœur de son travail : c’est l’histoire de l’homme et de la femme, de l’ancien et du moderne, de la couleur et du dessin, de la profusion et du vide, de la foi et de la libre pensée…
Télescopage de références, avec irrévérence, femmes ingresques, hommes sculpturaux comme à Florence, paysages cézanniens, situations homériques, animaux mythologiques au croisement de l’Orient et de l’Asie, enfers et paradis flamands, et puis Duchamp bien sûr, et puis enfin le surréalisme dont l’artiste connut les précurseurs…Autant de rappels d’une culture classique dont l’artiste ne fait pas sciemment usage tant elle est devenue une seconde nature.
Bien que dessinant depuis toujours, Pierre Desfons reste durant de longues années réticent à exposer son travail, ne le montrant qu’à quelques amis, artistes et poètes. Ainsi, il ne commence à présenter son travail en galerie qu’en 2001. Aujourd’hui, Pierre Desfons se consacre presque exclusivement à la création plastique. Après une longue et fructueuse carrière vouée au cinéma et à la télévision, c’est encore à l’image qu’il se consacre, mais avec le plaisir retrouvé de la solitude dans la création.
Marie DEMANGE, galeriste



Les tableaux-dessins de Pierre DESFONS

Délicats poèmes mis en images ? C’est bien pire que ça ! Il y a de la violence derrière ce raffinement. Sous le graphisme, une instabilité préméditée. Méticuleusement.
L’œil est d’abord charmé - par la douceur sensuelle des corps – amusé par un collage kitsch – intrigué par un triangle de hiéroglyphes minuscules.
Puis, doucement, on bascule. Happé par l’étrangeté.
On déambule entre inquiétude – ce portrait hyperréaliste de bébé au visage méchant - et apaisement - la douceur des bleus ciel, des roses layette, l’équilibre des lignes, le lyrisme maîtrisé. Rien d’hallucinatoire dans ces associations insolites. La référence au surréalisme est claire, et le voyage intérieur, sciemment piloté. Mais un brin angoissant. Tanguy, du bout de ses arabesques, apprivoise nos abîmes. Pierre Desfons, avec une égale finesse, éveille nos souvenirs refoulés et ranime des cauchemars d’enfance, les nourrit de ses télescopages. Il y a des corps musculeux, tendus, enchevêtrés... et un tampon postal; il y a la chute vertigineuse d’une invisible Alice... et des becs de plume Monseigneur; il y a la transe hystérique d’animaux possédés par on ne sait quelle peur... et des menus de restaurants -.
Equations magiques pour un flash d’envoûtement.
L’exploration ne semble rien devoir au hasard, pourtant, le trait à l’encre n’autorise pas la retouche.
Pierre Desfons mijote longtemps ses formules. Et nous convie, avec une apparente légèreté, à de troublants retours sur nous-mêmes, entre érudition et cerveau reptilien. Gare au voltage...

Catherine Schwaab (journaliste, rédactrice en chef, Paris Match)